L’identité d’un individu se construit et se transforme tout au long de sa vie. Elle se forme à l’intersection des échanges entre les différentes traditions culturelles qui l’entourent par une élaboration permanente de style de vie, de comportement, de pensée et de sentiment. L’individu-libanais vivant à l’intérieur est constamment sommé de réintégrer les rangs de sa tribu et de réduire son identité à une seule appartenance. Les Libanais vivant en France sont libres de toutes médiations confessionnelles ou des contraintes tribales qui contrarient la formation d’une citoyenneté.
Les franco-libanais issus de vagues successives de l’immigration libanaise des années 1976, 1982 et 1989…, se sont impliqués sans complexe dans la vie « à la française ». Ils ont fait preuve d’inventivité dans leur quotidien culturel. Déjà multiple, leur culture d’origine se mélange, plus ou moins profondément à la culture française. Et cette rencontre entre les valeurs culturelles dessine chez eux, un tracé personnel ouvert et innovant.
La majorité des franco-libanais accepte, même adhère aux « nouvelles » valeurs. Et, il est remarquable que cette adhésion s’est faite en douceur, dans un climat serein qui caractérise l’amitié franco-libanaise. Le métissage s’était facilité grâce à un niveau d’instruction élevé de cette génération, et un taux de réussite individuelle. Ces facteurs ont atténué le réflexe d’infériorité propre aux immigrés. De plus, en essayant d’examiner l’évolution des habitudes alimentaires, on constate, à domicile, le reflet d’un certain métissage culturel. Nous trouvons souvent une base de cuisine à la libanaise qui présente une ouverture aux mets et manières à la française.
Au sein la deuxième génération de l’immigration on peut distinguer trois catégories: la première correspond à un profil majoritaire de jeune qui vit sa vie de citoyens et qui se définit comme franco-libanais ou français d’origine libanaise. Les jeunes sont fiers de cette affiliation et contents de pouvoir s’épanouir en France, là où on reconnaît leurs mérites et talents sans avoir à recourir aux « pistons » et au clientélisme. La deuxième catégorie est minoritaire et elle s’enferme dans le sentiment d’appartenance à une culture confessionnelle et tribale. Ces Libanais sont plutôt réticents à l’intégration et ils vivent partiellement isolés dans les conditions comparables à celles présentes chez les jeunes issus de l’immigration maghrébine en France. La troisième catégorie oscille entre une intégration paisible et le statut de résident transitoire qui attend de retourner, un jour, au pays d’origine. Mais les liens avec le Liban mythique de leurs parents s’amenuisent avec le temps, tout en en faisant écho à la relation nostalgique avec le pays natal.
Une connaissance limitée de la langue arabe La majorité des enfants de la deuxième génération a une connaissance limitée de la langue arabe. Certains l’utilise totalement ou partiellement à la maison ou durant leur séjour occasionnel au pays d’origine. Toutefois, l’acquisition du parlé ne s’étend souvent pas à l’écrit. Lire et écrire en arabe restent leur point faible. Car, il n’a pas été facilité dans leur pays d’accueil, faute de volonté et de moyens.
Un attrait qui se mue en aversion
Avec le temps, il s’est opéré un affaiblissement des liens avec un Liban de plus en plus malade. Certes les jeunes ont été attirés et marqués, durant l’enfance, par la chaleur des rapports avec la famille lointaine. Mais cet attrait ne s’est pas inscrit comme une donnée stable. Il s’est dilué progressivement jusqu’à se transformer parfois à son contraire. On a constaté une sorte d’aversion à l’égard de la vie « à la libanaise » qui cultive et magnifie l’apparence, l’étalage de la richesse et l’absence du sentiment d’humilité. Certains jeunes se moquent du style libanais consommateur excessif d’accessoires de tout genre, de vêtements à la mode, des voitures de luxe, des téléphones portables… Ils n’aiment pas leur non respect des lois et des règles d’hygiène en dehors de la maison. Leur racisme à l’égard des employées domestiques les irritent. Ils décrient l’ingérence de leur entourage à la sphère privée à l’opposé du modèle de vie en France.
Globalement, les jeunes franco-libanais sont indifférents vis à vis de la politique locale libanaise. Ils sont attachés à leur indépendance et à leur liberté individuelle. Ils connaissent les conditions de vie dans le pays d’origine, cela ne fait que renforcer leur attachement à la vie en France.
La première génération de l’ immigration est restée malade de sa nostalgie. Elle vit des malentendus inévitables, elle regarde avec anxiété ses enfants grandir, s’éloigner, se marier avec des non-libanais, acquérir d’autres valeurs… Elle avale son chagrin mais se réconforte des réussites de leurs enfants qui assument d’une façon franche et décomplexée leurs nouvelles identités.
Article publié dans l’Orient Le-jour le 18 juillet 2016